L’IA révolutionne le jeu d’échecs : Deep Blue, AlphaZero, Stockfish…

Depuis les premiers programmes informatiques capables de jouer aux échecs dans les années 1950, jusqu’aux systèmes de pointe basés sur l’apprentissage profond, l’IA (Intelligence Artificielle) a constamment élevé le niveau de jeu et repoussé les limites de la compréhension humaine de ce jeu complexe. Etat des lieux de l’utilisation de l’IA dans le jeu d’échecs.

L'IA révolutionne les échecs : Deep Blue, AlphaZero, Stockfish

Un peu d’histoire

Les débuts avec les programmes d’IA conventionnels

Les débuts de l’IA dans le jeu d’échecs remontent aux années 1950 et 1960, avec des programmes tels que le programme d’échecs de Claude Shannon et les travaux de Turing sur « Turbochamp ». Ces premières tentatives étaient limitées par la puissance de calcul disponible à l’époque et les capacités algorithmiques rudimentaires. Cependant, elles ont posé les bases pour le développement ultérieur de l’IA dans ce domaine.

L’ère de Deep Blue

L’une des avancées les plus emblématiques dans le domaine de l’IA aux échecs est survenue en 1997, lorsque IBM a développé Deep Blue, un superordinateur conçu spécifiquement pour battre le Champion du mMonde d’échecs de l’époque, Garry Kasparov. Deep Blue a utilisé des techniques de recherche exhaustive et des algorithmes d’évaluation pour analyser des millions de positions par seconde et déterminer les coups les plus prometteurs. Finalement, Deep Blue a réussi à vaincre Kasparov dans un match historique, marquant un tournant majeur dans l’histoire de l’IA et du jeu d’échecs.

Garry Kasparov joue contre Deep Blue
Garry Kasparov contre l’ordinateur Deep Blue d’IBM en 1997

Après une victoire lors de la première partie puis une défaite dans la seconde, Kasparov fait jeu égale avec Deep Blue avec trois parties nulle jusqu’à la 6eme partie ci-dessous. Une défaite rapide et la machine remporte le match.

L’avènement de l’apprentissage profond : AlphaZero

Plus récemment, l’avènement de l’apprentissage profond a propulsé l’IA aux échecs à un niveau encore jamais atteint. En 2017, DeepMind, une filiale de Google, a présenté AlphaZero, un système d’IA capable d’apprendre à jouer aux échecs, ainsi qu’à d’autres jeux comme le jeu de go et le shogi, en partant de zéro, uniquement à partir des règles du jeu. Contrairement à ses prédécesseurs, AlphaZero n’a pas été programmé avec des heuristiques spécifiques ou des bases de données d’ouvertures, mais a plutôt appris à jouer en jouant contre lui-même et en ajustant ses stratégies en fonction des résultats.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Depuis l’avènement de Deep Blue et le développement de l’Intelligence Artificielle, les moteurs d’échecs ne jouent plus dans la même catégorie les humains. Deux d’entre eux dominent cette catégorie avec deux registres un peu différents. Ils se sont encore opposés lors de la dernière Super Finale de la saison 25 du TCEC (Championnat des meilleurs moteurs d’échecs) et c’était aussi le cas de la saison 24. Il s’agit de Stockfish et Leela Chess Zero.

Stockfish, un moteur classique boosté à l’IA

Stockfish est un moteur d’échecs open-source extrêmement puissant et populaire, utilisé par de nombreux joueurs amateurs et professionnels à travers le monde. Contrairement à des systèmes comme AlphaZero, qui intègrent des éléments d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique, Stockfish se base principalement sur des algorithmes classiques de recherche et d’évaluation.

Stockfish utilise une combinaison de techniques telles que la recherche en profondeur, l’élagage alpha-bêta et les tables de transposition pour évaluer les positions et choisir les meilleurs coups. Sa force réside dans son efficacité algorithmique et sa capacité à évaluer de manière exhaustive les différentes lignes de jeu. Il est régulièrement mis à jour et amélioré par une communauté de développeurs dévoués, ce qui garantit qu’il reste à la pointe de la technologie en matière de moteurs d’échecs.

Stockfish 16 le meilleur moteur d'échecs et gratuit
Stockfish 16 est la dernière version majeure du meilleur des moteurs d’échecs

Stockfish, dans ses versions les plus récentes, intègre des éléments d’Intelligence Artificielle, bien que son approche ne repose pas principalement sur les réseaux de neurones ou l’apprentissage profond comme d’autres moteurs d’échecs tels que AlphaZero. Stockfish utilise plutôt des techniques d’IA plus traditionnelles et éprouvées, combinées à une optimisation de pointe, pour atteindre sa force de jeu.

Voici comment Stockfish utilise l’IA dans ses versions plus récentes :

  1. Réseaux de Neurones de Type Convolutionnel (CNN) : Stockfish a introduit des réseaux de neurones de type convolutionnel dans sa version 12, ce qui lui permet d’améliorer sa capacité à évaluer les positions et à trouver les meilleurs coups. Ces CNN sont utilisés pour évaluer les positions clés et fournir des évaluations plus précises.
  2. Apprentissage des Ponderations : Stockfish utilise également des techniques d’apprentissage pour ajuster ses paramètres internes, tels que les valeurs de poids des différentes caractéristiques d’une position, en fonction de parties jouées contre lui-même ou d’autres moteurs. Cela aide Stockfish à s’adapter et à améliorer son jeu au fil du temps.
  3. Optimisation des Algorithmes : En plus des éléments d’IA, Stockfish continue d’utiliser des techniques classiques de recherche en profondeur, telles que l’élagage alpha-bêta et les tables de transposition, mais il les a optimisées pour des performances maximales sur des processeurs modernes.
  4. Analyse d’Échiquier Dynamique (DDA) : Stockfish 14 introduit également une fonctionnalité appelée DDA, qui est une forme d’apprentissage automatique pour ajuster la profondeur de l’analyse en fonction de la complexité de la position. Cela permet à Stockfish de choisir la meilleure profondeur pour analyser une position donnée, ce qui économise du temps de calcul pour des positions simples et se concentre sur une analyse plus approfondie pour des positions plus complexes.

Lc0, dans les pas d’AlphaZero

Leela Chess Zero (LCZero ou Lc0) est basé sur le projet AlphaZero de DeepMind, bien que ce ne soit pas une implémentation directe d’AlphaZero. LCZero s’inspire fortement de l’approche utilisée par AlphaZero, en particulier en ce qui concerne l’utilisation de réseaux de neurones convolutifs et l’apprentissage par renforcement pour jouer aux échecs.

Voici comment LCZero est lié au projet AlphaZero :

  1. Approche similaire à AlphaZero : LCZero utilise une approche similaire à celle d’AlphaZero en ce qui concerne son apprentissage et son jeu aux échecs. Comme AlphaZero, LCZero s’appuie sur des réseaux de neurones convolutifs pour évaluer les positions d’échecs et prédire les meilleurs coups.
  2. Technologie « Zero » : LCZero, tout comme AlphaZero, est basé sur une approche « Zero » où le moteur apprend à jouer aux échecs à partir de zéro, sans utiliser de bases de données de parties humaines ou de connaissances préprogrammées.
  3. Apprentissage par Renforcement : Les deux programmes utilisent l’apprentissage par renforcement pour améliorer leur jeu au fil du temps. En jouant contre lui-même, LCZero ajuste ses réseaux de neurones et ses stratégies pour devenir plus fort.
  4. Style de jeu « humain » : Comme AlphaZero, LCZero a souvent été noté pour son style de jeu plus « humain », capable de jouer des coups créatifs et innovants qui peuvent surprendre les adversaires.
  5. Open-source : LCZero est un projet open-source, tout comme AlphaZero. Cela signifie que le code source est disponible publiquement, permettant aux contributeurs de travailler sur le projet et de l’améliorer.
  6. Différences avec AlphaZero : Bien que LCZero s’inspire d’AlphaZero et utilise des techniques similaires, il y a des différences dans la mise en œuvre et les détails spécifiques de l’apprentissage. Par exemple, AlphaZero a été formé sur des parties jouées contre lui-même et contre Stockfish, tandis que LCZero se concentre principalement sur l’auto-apprentissage à partir de ses propres parties.

Les implications pour le jeu d’échecs

L’impact de l’IA sur le jeu d’échecs va bien au-delà des simples performances des ordinateurs. Ces systèmes ont révolutionné la façon dont les joueurs humains s’entraînent et analysent le jeu, en offrant des analyses approfondies et des perspectives nouvelles.

Magnus Carlsen s’inspire d’AlphaZero

Le numéro un mondial, Magnus Carlsen, a reconnu s’être inspiré des parties d’AlphaZero en ce qui concerne l’utilisation de sacrifice de pion ou de pièce pour obtenir des compensations à long terme. Découvrez des exemples dans cette étude en anglais de Chess-Network sur Lichess : Magnus Carlsen joue comme AlphaZero.

Dans ce podcast en anglais, Magnus Carlsen s’exprime également sur ce sujet…

Utiliser l’IA pour travailler les ouvertures aux échecs

Autre exemple d’impact important des moteurs d’échecs et de l’IA, l’étude des ouvertures aux échecs a été révolutionnée. Voici quelques-unes des façons dont ils sont utilisés dans ce domaine :

  1. Analyse des lignes d’ouverture existantes : Les joueurs peuvent utiliser des moteurs d’échecs pour analyser les différentes lignes d’ouverture, évaluer les positions résultantes et identifier les plans et les idées clés. Cela leur permet de mieux comprendre les nuances et les subtilités de chaque ouverture.
  2. Découverte de nouvelles idées et de variantes : Les moteurs d’échecs peuvent être utilisés pour explorer de nouvelles variantes et idées dans les ouvertures, en testant différentes séquences de coups et en évaluant les positions résultantes. Cela peut conduire à la découverte de lignes novatrices et surprenantes qui peuvent surprendre les adversaires non préparés.
  3. Validation des analyses humaines : Les joueurs peuvent utiliser les moteurs d’échecs pour valider leurs propres analyses et préparations dans les ouvertures. Cela leur permet de vérifier la justesse de leurs idées et de corriger les erreurs éventuelles.
  4. Identification des erreurs et des imprécisions : Les moteurs d’échecs sont également utiles pour identifier les erreurs et les imprécisions dans les analyses d’ouvertures, en signalant les coups suboptimaux ou les plans faibles. Cela permet aux joueurs de perfectionner leur répertoire d’ouvertures et d’éliminer les faiblesses potentielles.
  5. Analyse de parties de grands maîtres : Les moteurs d’échecs peuvent être utilisés pour analyser les parties de grands maîtres et étudier leurs choix d’ouvertures. Cela permet aux joueurs d’apprendre des stratégies et des idées utilisées par les meilleurs joueurs du monde et de les intégrer à leur propre répertoire d’ouvertures.

Conclusion

L’histoire de l’IA dans le jeu d’échecs est une illustration captivante de la manière dont la technologie peut repousser les limites de ce que nous pensions possible. Des premiers programmes rudimentaires aux systèmes d’apprentissage profond de pointe, l’IA continue de redéfinir notre compréhension du jeu d’échecs et de nous inspirer à repousser toujours plus loin les frontières de la connaissance.

Laisser un commentaire